Pourquoi les étapes du deuil ne s’appliquent pas au deuil périnatal ?
Le deuil périnatal est une expérience profondément intime et bouleversante. Il est souvent peu reconnu ou mal compris par la société. Il confronte les parents à une réalité inconcevable : perdre un bébé. Parfois sans l’avoir vu vivre, parfois sans traces visibles pour le monde extérieur. Pourtant, cette perte laisse une empreinte immense dans le cœur, le corps et la mémoire.
Beaucoup de personnes endeuillées entendent parler des « étapes du deuil ». Elles les voient comme un parcours universel qu’il faudrait suivre dans un certain ordre pour « aller mieux ». Comme s’il existait une carte à suivre, un mode d’emploi pour cicatriser. Pourtant, ce modèle largement répandu s’avère inadapté. Il devient même contre-productif lorsqu’il s’applique à la perte d’un bébé. Cela vaut autant pendant la grossesse qu’après la naissance. Dans cet article, explorons pourquoi ces étapes ne correspondent pas à la réalité des parents endeuillés
Qu’est ce que le processus de deuil ?
Introduction aux étapes du deuil
Le deuil est le processus d’adaptation psychique, émotionnelle, physique et sociale que traverse une personne face à une perte significative. Ce chemin est souvent non linéaire, avec plusieurs phases, parfois cycliques. Il est unique, imprévisible, et influencé par de nombreux facteurs : le lien à la personne perdue, le contexte de la perte, les croyances personnelles ou spirituelles, les ressources internes, les soutiens présents ou absents, et même l’histoire familiale ou les deuils antérieurs.
Il ne s’agit pas de « faire son deuil » comme on tournerait une page ou qu’on rayerait une ligne sur une liste. Il est plutôt question d’apprendre à vivre avec l’absence, à redonner du sens à la vie, à réintégrer la perte dans son histoire personnelle. Ce processus peut être long, souvent invisible aux yeux des autres mais pourtant bien réel.
Pourquoi le processus de deuil est-il essentiel ?
Reconnaître l’existence du deuil, y compris dans ses formes invisibles comme le deuil périnatal, permet à la personne endeuillée de se sentir validée, de lui offrir un espace d’expression et d’accompagnement, et de légitimer des émotions souvent refoulées. Dans un monde qui invite à aller vite, à « passer à autre chose », prendre le temps du deuil est un acte de résistance et de soin.
Le deuil n’est pas une maladie, ni une faiblesse. C’est une réponse humaine, profondément saine, à une rupture du lien, à une perte d’amour, de présence, d’avenir. Et ce processus n’a pas besoin d’un cadre rigide ou d’un mode d’emploi. Il a besoin d’écoute, de temps, de sécurité émotionnelle, et parfois d’un accompagnement qui respecte le rythme propre à chacune.

Le modèle classique du chemin de deuil
Le modèle des cinq étapes du deuil, développé par la psychiatre Elisabeth Kübler-Ross dans les années 1960, a été initialement conçu pour comprendre ce que vivent les personnes en fin de vie face à leur propre mort. Ces étapes ont ensuite été largement popularisées comme un parcours applicable à toute forme de deuil.
Ce modèle a contribué à ouvrir la parole sur le deuil, à légitimer certaines émotions, et à normaliser un vécu jusque-là peu étudié. Mais il a été largement simplifié, décontextualisé, et présenté à tort comme une progression linéaire et universelle. En réalité, les émotions du deuil sont bien plus complexes, entremêlées et mouvantes. On peut vivre plusieurs de ces étapes en même temps, ou ne pas les ressentir du tout.
Choc, déni, colère et frustration
Il s’agit souvent d’une réaction immédiate de sidération. Le système nerveux ne parvient pas à intégrer ce qui est en train de se passer. C’est un mécanisme de protection face à la brutalité de la perte. Dans le cas d’un deuil périnatal, ce choc est souvent renforcé par l’écart entre ce qui était attendu, c’est à dire donner la vie, et la réalité de la mort, parfois soudaine.
La colère peut être dirigée dans toutes les directions : vers soi-même, vers le corps médical, vers le partenaire, les proches, la vie, le sort. Elle exprime souvent l’injustice ressentie. Cette émotion, souvent mal accueillie dans notre culture, peut pourtant être une force de vie, une manière de dire : « Ce qui s’est passé est inacceptable. ».
Marchandage et dépression
Le marchandage prend souvent la forme de pensées conditionnelles : « Et si j’avais fait autrement ? », « Si j’avais insisté pour une autre échographie… » C’est une tentative de retrouver du contrôle sur l’incontrôlable, une forme de protection contre la douleur brute.
Le deuil peut amener une profonde tristesse. Cette étape est marquée par une perte d’élan, un vide, une forme de repli. Il est essentiel de distinguer cette dépression normale et saine du deuil, de la dépression pathologique, qui nécessite une attention spécifique. Dans le contexte de la fin d’une grossesse, cette phase peut aussi inclure une forme d’effondrement identitaire : « Suis-je encore mère ? », « Qui suis-je maintenant que je ne peux pas tenir cet enfant dans mes bras ?
Acceptation
Contrairement à l’idée reçue, l’acceptation ne signifie pas « être en paix » ou « oublier ». C’est plutôt la reconnaissance de la réalité de la perte, et le début d’une réorganisation intérieure. C’est pouvoir continuer à vivre avec l’absence, avec l’amour toujours présent, avec la mémoire de l’enfant.

Pourquoi ce modèle ne s’applique pas au deuil périnatal ?
Un deuil singulier, souvent non reconnu
Le deuil périnatal est un deuil « sans rites », souvent sans funérailles, sans reconnaissance sociale. Il est traversé dans le silence, alors que le lien à cet enfant était déjà là : dans le corps, dans le cœur, dans les projets. Ce deuil touche à l’identité même des parents, à leur rôle, à leur avenir, et il est souvent minimisé ou ignoré par l’entourage.
Les phrases comme « Tu es jeune, tu en auras d’autres » ou « Au moins, c’était tôt » tentent de consoler, mais invisibilisent la profondeur de la perte. Elles laissent les parents seuls, avec une douleur que personne ne nomme. Dans ce contexte, appliquer un modèle figé et simpliste comme présenté précédemment peut être non seulement inadapté, mais aussi blessant, car il ne laisse aucune place à l’ambivalence, à la complexité, ni à la dimension corporelle du vécu.
Un modèle culpabilisant
L’idée que l’on devrait passer par certaines phases dans un certain ordre peut créer de la confusion et de la culpabilité : « Pourquoi je ne ressens pas de colère ? » « Pourquoi je ne me sens pas mieux alors que ça fait des mois ? » « Est-ce que je fais mal les choses ? »
Ce modèle sous-entend qu’il existe une bonne façon de faire son deuil. Or, c’est précisément cette idée qui blesse : on ne fait pas son deuil, on le vit, on le traverse, parfois en titubant, parfois en silence, parfois avec rage, parfois dans l’amour. Il n’y a pas de performance à atteindre. Il y a des chemins, des tâtonnements, des retours en arrière, des percées inattendues.
Un modèle avec des limites méthodologiques
Le modèle des cinq étapes repose sur des observations cliniques non systématisées, faites auprès de personnes en fin de vie, et non auprès de personnes endeuillées. Sa généralisation à tous les types de pertes n’a jamais été validée scientifiquement.
Aujourd’hui, de nombreux chercheurs, psychologues et accompagnantes spécialisés dans le deuil remettent en question ce modèle. Ils lui préfèrent des approches plus ouvertes, comme le modèle des tâches du deuil (Worden), ou des visions intégratives qui incluent les dimensions somatiques, spirituelles, relationnelles. Ces modèles reconnaissent la diversité des expériences et laissent de l’espace à ce qui ne rentre dans aucune case.
Conclusion
Le deuil périnatal nécessite une reconnaissance spécifique, une écoute sensible, et un accompagnement respectueux de l’histoire et du rythme de chacune. Plutôt que de chercher à cocher des cases, il s’agit de faire de la place à ce qui est vécu, de trouver du sens dans l’absurde, de réinventer le lien avec l’enfant perdu, et de se reconstruire sans jamais oublier.
Soutenir les personnes en deuil, c’est avant tout renoncer aux schémas tout faits et accueillir l’unicité de chaque histoire.
Si mon but était de vous démontrer pourquoi les 5 étapes ne s’appliquent pas au deuil, pourquoi les détaillées dans un article ? Tout simplement que si ce modèle n’est pas le meilleure pour expliquer le vécu des parents endeuillés, ces 5 étapes peuvent détaillées la désorganisation intérieure ressenti lors de la perte de son enfant.
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